N° 8150 – Février 2023
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LA FORÊT
Durable. S’il y a bien un milieu géographique qui mérite qu’on lui applique cet adjectif devenu lourd de sens et de promesses depuis qu’il traduit dans la langue française l’anglais sustainable, apparu en 1987 dans le rapport Brundtland rédigé par la Commission mondiale pour l’environnement et le développement de l’ONU, c’est la forêt. Elle est pour ainsi dire doublement durable, puisqu’elle répond aux deux sens de l’adjectif définis par le Larousse :
1. De nature à durer longtemps, qui présente une certaine stabilité, une certaine résistance.
2. Qui prend en compte l’avenir de la planète. Face aux vétérans de la forêt comme le chêne de Saint-Jean en forêt de Compiègne, l’un des plus vieux arbres forestiers de France, qui a germé à l’époque de Saint Louis il y a quelque huit cents ans (le chêne d’Allouville-Bellefosse, à côté de l’église du village, a quatre cents ans de plus), les forestiers ont forgé le bel adjectif de longévif pour désigner une essence qui vit longtemps. La forêt n’est à pas à la mesure humaine, tant son espérance de vie dépasse, et de très loin, celle des mortels. Son évolution se prévoit sur plusieurs générations.
Et pourtant, quoi de plus humain que la forêt française ? Il n’y a plus une parcelle de forêt qui ne doive sa présence, sa composition, son évolution et ses paysages à l’intervention de l’homme. La forêt n’a pas besoin de nous pour pousser et croître. Pourtant, même lorsqu’elle colonise les terres que l’homme lui délaisse, la forêt porte encore l’empreinte des anciennes pratiques agricoles, notamment des fumures. L’homme continue de jouer un rôle pendant longtemps sur la forêt. Waltraud Koerner a, par exemple, pu démontrer dans les Vosges les impacts des anciennes utilisations agricoles sur la fertilité du milieu forestier actuel. Avant d’avoir une géographie, la forêt française a, à l’évidence, une histoire, et elle est multiséculaire. Elle s’explique tout entière par les usages que les sociétés, qui ont vécu et vivent sur les territoires qui sont la France, ont fait de ses ressources. Tantôt nourricière, tantôt source d’énergie ou de matériaux et toujours récréative, pour une élite ou pour le peuple, la forêt a toujours été investie de rôles multiples et contradictoires. L’étymologie qui fait dériver notre forêt directement du latin foris, « dehors, extérieur » ne rend pas justice à cette réalité :la forêt n’est pas aux marges de la société des hommes, elle est au centre de notre culture parce qu’elle incarne notre idée de la nature.
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